III ) REPONSES ANTICIPEES A DE POSSIBLES OBJECTIONS

1) PEDAGOGIE ET / OU COMMERCE : CYBERNETIQUE?

Pour essayer de répondre au bateleur M. Ferrant qu'on a bien du mal à prendre au sérieux et à ceux qui partagent sa thèse de la séparation absolue du calcul effectué humainement et de "faire des mathématiques", il est important de noter que celle-ci est globalement fausse, et il le reconnaît puisqu'il dit que la situation est nouvelle pour l'histoire de la pratique des mathématiques jusqu'à la parution de son article en Septembre 1997 . Si l'on veut distinguer plus précisément les choses , on peut distinguer grossièrement trois niveaux :
- en 97 apparaissent des calculettes à bas prix qui peuvent modifier l'apprentissage des mathématiques dans le domaine du calcul formel
- en 40/45 apparaissent des « electronics computers /calculators » qui permettent de faire plus rapidement des calculs répétitifs ( destinés à l'origine à l'établissement de tables balistiques des mines sous marines par exemple, même s'ils ont servi à des tâches de décryptage) ce qui supprime effectivement les derniers restes des « boutiques de calcul » datant du moyen âge: les calculateurs professionnels
- on utilise, dans quelques cas, à partir des années 70 des logiciels pour faire une partie des démonstrations en mathématiques ( fin de la démonstration du théorème des 4 couleurs par exemple: ce qui n'est pas sans poser de problèmes d'ailleurs sur la validité de la preuve apportée),
- depuis la fin des années 70 existent des calculatrices arithmétiques à bas prix qui automatisent les formes fondamentales de calcul "arithmétique"
Aucun de ces niveaux, à part la volonté forcenée de vendre des calculettes et « le souci de s'adapter au monde moderne », ne justifie en soi que l'avenir de l'apprentissage des mathématiques soit séparé de la maîtrise humaine du calcul, maîtrise d'une activité qui serait pour la première fois séparée de la pratique de l'activité correspondante.. M. Ferrant introduit donc une nouvelle période , radicalement différente, qui serait caractérisé par cette séparation. A cette position, on peut répondre plusieurs choses:
a) si la nouveauté est effectivement radicale, il serait urgent de poser comme principe pédagogique pour les enseignements fondamentaux qu'il faut éviter avant tout les nouveautés radicales et les "derniers résultats de la recherche scientifique" . La réforme des maths modernes - et oui, les maths modernes sont celles ou il faut être moderne - a été promulgué sous l'argument de l'adaptation de l'enseignement des mathématiques à l'état de développement des mathématiques . Lichnerowicz disait textuellement " Il nous faut désormais préparer nos enfants et nos étudiants à comprendre et à utiliser ce que sont devenus les mathématiques de notre temps" ( Cf. B. Charlot p 37) et il fallait que l'enseignement des mathématiques soit lié à la mathématique "vivante", c'est à dire à la recherche mathématique. D'une part même si la recherche mathématique fait des progrès - c'est une tautologie !... à explorer - rien n'indique que cela doit modifier la manière d'enseigner les connaissances de base et surtout que l'alignement sur les caractéristiques à un moment donné de la recherche soit l'axe fondamental qui permet de penser, en terme de forme et de contenu, l'enseignement des bases du calcul et de la géométrie: la réforme des maths modernes en est la preuve. Et si l'on se réfère aux dernières découvertes de "sciences" type SDE ou psychologie cognitive - dont l'avant dernière disait exactement ou à peu prés le contraire -, il faut avant tout en interdire l'application, par principe de précaution, pour une cinquantaine d'années : l'indication de durée donnée n'est pas excessive et représente à peu prés le temps écoulé entre le moment ou les sciences cognitives se mettent en marche en disant que la mémoire est inutile et celui où , M. Lieury reconnaît que la mémoire est indispensable et, avec difficultés, que la "science" s'est trompé .Or ce double argument, s'il est apparu massivement avec l'époque moderniste n'est pas mort : l'élève de CE1 doit maintenant non seulement faire des mathématiques comme un chercheur, mais faire de l'histoire comme un historien - les élèves de primaire doivent faire des commentaires de documents historiques!!!-, et apprendre les savoirs de base comme s'il était un spécialiste de chaque matière. Outre le ridicule de ce type de positions -au moment ou les statistiques officielles reconnaissent que 20/30 % des élèves arrivant en sixième ne sait ni lire, ni écrire ni calculer -, elles traduisent un phénomène beaucoup plus profond qui existait déjà en 70 et qui a pris encore plus d'importance , la conception corporatiste car chaque groupe de pression lié à une matière ne peut défendre "l'interdisciplinarité " que pour ce qu'elle est : la juxtaposition concurrentielle des savoirs des experts..D'un autre côté, on n'a pas besoin d'être un grand clerc pour comprendre que l'argument de la nouveauté radicale est un argument très bien adapté aux besoins du mercantilisme : un programme scolaire qui ne changerait pas tous les 2/3 ans serait un cauchemar pour les éditeurs - chiffre d'affaires de l'édition scolaire : 2,4 milliards de francs par an selon l'Express, sans compter les logiciels « éducatifs » , "Marché du XXIème Siècle" selon le Monde Diplomatique- . Il reste donc à prouver la valeur du changement permanent et de la « table rase » dans le domaine de la pensée scientifique et de la pédagogie. Or justement, les thèses pédagogiques actuelles sont effectivement défendues et mises en avant par une organisation commerciale, l’OCDE ( 1 ) et ce n'est pas un hasard non plus si la réforme précédente des maths modernes a été préparée dés les années 50 par l'organisme qui a précédé l’OCDE, c'est-à-dire l’OECE ( 2 ) : la mise en avant des maths modernes a effectivement été un grand succès dans le domaine privilégié de ceux qui l'ont promu, c'est-à-dire dans le domaine commercial puisqu'il a fallu changer TOUS les manuels ( les auteurs de manuels n'ont pas été perdants non plus ni les professeurs du supérieur sur qui est tombée la manne de la formation des instituteurs, que l'on pouvait facilement éblouir en leur faisant dessiner des patates ou des flèches, activité qui ne demandait pas de plus une grande préparation).

b) on peut dire que l'ancienne période - et les méthodes associées - ont permis des succès assez remarquables historiquement (c'est avec elles que la majorité de l'humanité a appris à calculer et ce sont elles qui ont permis même la compréhension des « maths modernes ») tandis que les nouvelles sont loin d'avoir fait leurs preuves, à part en tant que succès commercial pour la vente accélérée
- des diverses éditions successives de manuels comme conséquence des changements incessants de programmes
- des calculatrices elles-mêmes et aussi, « la poule aux œufs d'or »: les ordinateurs et les programmes éducatifs ( 3 )
Il est important de noter, en ce sens, que la commission Lichnerowicz a compté parmi ses membres un représentant de l'édition ( Cf. Patrick Trabal )

c) Si M. Ferrant n'avait pas une pensée aussi mécaniste que les machines qu'il encense, pensée qui oppose, sans en voir les liens, la forme et le fond , l'activité mathématique "ayant du sens " et le calcul, il se poserait justement la question de savoir quels sont les rapports exacts qui existent entre ces deux activités.


2) LES CALCULETTES NE SONT PAS RESPONSABLES CAR ELLES SONT IRRESPONSABLES

Parmi ceux qui se posent encore effectivement la question de l'importance du calcul non automatisé pour l'apprentissage des mathématiques, la réponse - fausse - est souvent que la baisse de niveau en calcul des élèves est due à l'utilisation des calculettes. Or, d'une manière générale, cette baisse de niveau en milieu scolaire ne peut être due à un instrument quel qu'il soit, mais à une volonté "positive" ( le calcul ne sert à rien) ou à une négligence qui consiste à ne pas vérifier ( justement parce que c'est considéré comme non important) si les élèves ont acquis un certain niveau en calcul pour avancer dans leurs progressions. En ce sens, admettre que "les calculettes sont les fautives" signifie admettre que "l'école" ( Qui ont été les promoteurs?) s'est volontairement (?) soumise à la technique et qu'elle ne maîtrise rien de ses méthodes d'apprentissage: Qui croira que les calculettes, si elles sont responsables, ont envahi d'elles-mêmes les écoles et se sont imposées aux élèves? Si l'on quitte le terrain de l'argumentation générale et si l'on passe aux faits, le début de la baisse de niveau en calcul des élèves date de la période moderniste des années 70 et, logiquement, non de l'utilisation d'un instrument mais des théories pédagogiques de cette époque; et c'est sur cette base que les calculettes ont été utilisées : leur emploi cachait la baisse de niveau en calcul qui devenait un obstacle même à la résolution des problèmes et la logique de l'utilisation des calculettes ne s'opposait pas mais même s'intégrait parfaitement dans la perspective des maths modernes qui déniait toute importance au calcul, ce qui entraînait une nouvelle baisse de niveau en calcul et servait aussi à justifier aussi bien l'achat de calculettes que l'approfondissement des erreurs de la psychologie cognitive qui pouvait justifier son existence par l'accroissement même des dégâts que provoquait son utilisation. Globalement, il n'y a pas à s'étonner du rapprochement entre les thèses pédagogiques liées à l'introduction des « maths modernes » et la justification de l'utilisation des calculatrices car elles sont toutes deux les jumelles siamoises de la « cybernétique » qui représente la liaison théorique existant entre le formalisme des maths modernes et la conception « informatique » de l'intelligence qui réduit l'intelligence humaine à ce qui est "computable", ce qui explique simultanément la décision , fausse et lourde de conséquences, prise par la COPREM en 83, qui laisse le soin de décider à une commission spécialisée dans les algorithmes - cad le domaine du "computable"- s'il faut ou non " viser à l'acquisition sûre d'une technique de division à la main" car si les algorithmes de la division font partie du "computable" , la décision sur ce sujet n'en fait pas partie.

Pour comprendre qu'il ne s'agit pas d'un hasard, il suffit de consulter le seul ouvrage en Français retraçant les débuts de la cybernétique au travers des «Conférences Macy » auxquelles participèrent aussi bien Von Neumann, que Wiener, Mac-Culloch, Lashley ou Rosenblueth: « Aux origines des sciences cognitives »( Jean-Pierre Dupuy - Edition « La Découverte»). On peut y découvrir que l'origine des Sciences Cognitives - mère des SDE- est bien la cybernétique et que, au symposium Hixon ( 1948), organisé par le CalTech - Institut Californien de Technologie -:

- Lashley y déclare - " recueillant l'assentiment général" nous dit J-P Dupuy:
" Ce qui nous réunit ici, c'est la conviction que, je pense, nous partageons tous, qu'il est possible en dernière instance de décrire les phénomènes de l'esprit et du comportement au moyen des des concepts des sciences mathématiques et physiques"
- et Mc Culloch en rajoute - face Von Neumann qui y présente "The General and Logical Theory of Automata" et qui ne dit pas le contraire- :
"les machines faites de main d'homme ne sont pas des cerveaux mais les cerveaux sont une variété, très mal comprises, de machines computationnelles. La cybernétique a contribué à effondrer la muraille qui séparait le monde magnifique de la physique du ghetto de l'esprit"
On peut consulter également l'article de l'Encyclopedia Universalis consacré aux "Sciences cognitives".
L'essentiel est même peut-être simplement de comprendre le sens profond ce qu'affirmait, il y a une trentaine d'années, un des penseurs les plus influents de ce dernier quart de siècle , Zbigniew Brzezinski: " [Nous sommes dans une] société techtronique, société dont la forme est déterminée sur le plan culturel, psychologique, social et économique, par l'influence de la technologie et de l'électronique — tout particulièrement dans le domaine des ordinateurs et des communications"

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