Publié le 20 Janvier 1999 sur le site de l'APED
25/12/2009 -  MD
  
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REFORME DES ZEP : L'exemple français

En ce début de fin de siècle, le ministère prépare, suivant le discours moderniste de rigueur, "L'Ecole du XXIème Siècle" qui ne saurait être contradictoire avec le marché dudit siècle et ses lois immanentes, ce qui n'est pas étonnant puisque la problématique mercantile a déjà envahi la psychologie individuelle, domaine où l'on doit, comme un boutiquier, "gérer" ses relations , ses peines de cœur , faire le "bilan" de ses activités et optimiser ses relations: pourquoi ne pas "gérer" officiellement l'éducation nationale en visant comme tout gestionnaire un "bilan" positif et des contrats "au moindre coût". Un des aspects de ce "chantier" – plus la source de profit se concentre sur les "services", plus le travail se réduit à la gestion et plus les cercles dirigeants ouvrent des chantiers et des ateliers tout en fermant les lieux réels de production – est la réforme des ZEP : (zones d'éducations prioritaires) prévue depuis un an et par le premier ministre en personne et préparée dans un vaste atelier – encore un – au colloque de Rouen de Juin 1998. Qu'en est-il?    

Les discriminations positives : Au royaume des aveugles , les borgnes sont rois   

Les ZEP ont été créées en 1982 : ils s'agissaient de mesure inspirées des mesures de "discriminations positives" présentées officiellement comme donnant des moyens supplémentaires sur des zones à difficultés sociales et économiques fortes. Idée qui peut paraître excellente dans l'absolu d'un monde économique infiniment perfectible qui évoluerait spontanément vers plus de justice, de stabilité et dans lequel il suffirait d'ajouter quelques discriminations positives et avoir confiance dans les instances dirigeantes pour arriver à "l'égalité". Mais la réalité est toute autre car ces idées n'ont justement commencé à être proposées qu'au moment ou le monde entrait en crise. Or cette politique n'est pas une exception mais la norme : s'il existait un SMIG – salaire minimum garanti – pendant les années 60, les théoriciens de la "Nouvelle Société" dont faisait partie Jacques DELORS l'ont transformé en SMIC qui ne garantissait plus rien justement au moment ou arrivait la crise: la gauche n'est pas revenu là-dessus et a même introduit des formes de rémunération qui tendent à ce qu'il n'y ait plus de minimum salarial. Pour revenir à l'éducation, alors que les directives ministérielles recommandent de s'intéresser aux "fondamentaux" que les élèves ne maîtrisent pas, les programmes actuels en Math et en Français en sixième prévoient des horaires par classe de 25% inférieurs à celle des années 70, celles de la reforme Haby à une époque ou les collèges n'accueillaient pas la totalité des classes d'âge et notamment pas les élèves qui ont le plus de difficultés.

Or les établissements actuellement en ZEP, avec toutes leurs discriminations positives, n'arrivent en général pas à cet horaire qui étaient cependant fournis pour des catégories sociales plus favorisées vingt ans auparavant. La discrimination positive n'est qu'une manœuvre de division qui consiste, dans le cadre d'une attaque générale, à attaquer moins les secteurs les plus touchés et les plus désavantagés : le cas n'est pas isolé et on sait ce que sont les discriminations positives par rapport aux chômeurs et à tous les précaires. Autre exemple éducatif ou il y aurait un net besoin de discrimination positive si le système veut maintenir la fable de l'ascenseur social qui n'a en fait jamais touché qu'une minorité: si l'on en croit les chiffres du ministère, un élève du primaire coûte annuellement 23000 FF, un élève de collège 40 000 FF et un élève d'école d'ingénieurs 82000 FF et si l'on globalise la dépense totale pour former un élève de CAP revient à 454000 FF tandis qu'un élève ingénieur coûte 898 000 FF( Source : Note d'Information 98.32 : Le coût de l'Education en 1997). On commencera peut-être à croire que les discriminations positives proposées ne sont pas des enflures verbales démagogiques lorsque ces chiffres traduiront au minimum une égalité même s'ils ne traduisent pas une discrimination positive en faveur des plus défavorisés.

Il convient également de rappeler que l'obtention de moyens nouveaux pour les établissements classés en ZEP n'était pas automatique et supposait la proposition par les équipes enseignantes de projets pédagogiques. Reprenons l'exemple des "fondamentaux" qui sont mis en avant actuellement par le ministère lui-même pour les ZEP: si le ministère ou une autorité académique décidait qu'un établissement était en ZEP, il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que les élèves de ces secteurs avaient besoin de moyens supplémentaires justement sur les notions fondamentales de calcul et de langue. Or, à la même époque, Jospin ( alors ministre de l'Education dont le principal conseiller était un certain Allègre) réformait le primaire par une division en cycles dont le but fondamental était la limitation des redoublements – "qui coûtent si cher à l'éducation"-. Cette limitation des redoublements – encore une discrimination positive ? – aggravait bien sur les problèmes des élèves les plus en difficulté dont on diminuait ainsi le coût de la prise en charge. Ainsi dans la période ou les divers gouvernements ont baissé les horaires globaux de math et de français pour tous les élèves et où ils ont aggravé les difficultés des enfants qui avaient le plus de problèmes en limitant les redoublements , ce sont les enseignants qui doivent imaginer des projets pour grappiller une diminution moindre du nombre d'heure de cours. Cela revient , dans le cadre d'un vol, à ce que ce soit le voleur qui impose à la victime d'apporter la preuve qu'elle a été volée pour récupérer …….une partie de son bien.      

Mais maintenant la mode est au REP (Réseau d'Education Prioritaire). Quelle est la différence ?    

1) Les personnels - enseignants ou non- qui étaient en ZEP recevaient une indemnité de 560 FF par mois : elle est supprimée. Tout est clair : ça sera moins cher et la prime aura servi – en langage de gestionnaire, c'était donc un investissement porteur - à ce que les enseignants s'investissent dans la pédagogie de projet et prennent l'habitude de quémander des moyens, ce qui est le cœur même de la contractualisation mercantile de la gestion de l'enseignement. S'il y a des mouvements qui s'opposent à ces mesures - et il y en a -, les autorités françaises auront-elles l'idée d'appliquer les idées du gouvernement belge : réserver ces primes à "ceux qui sont le plus méritants" et surtout "dans la ligne"? ( cf. l'article du Soir du 13/12/97 cité dans le texte sur les discriminations positives de l'APED , qui n'est qu'une bluette à coté des idées du gouvernement Blair :"Les profs bientôt payés au mérite" article du Guardian traduit dans Courrier International n°427 du 7 Janvier 1997 )    

2) Lorsque la ZEP obtenait des moyens supplémentaires , elle les gardait globalement car le gouvernement qui prévoyait déjà la contractualisation ne l'avait pas appliqué. Ce maintien des moyens semblait se justifier dans l'immense majorité des cas car, depuis vingt ans, on connaît peu de régions dans lesquelles les conditions socio-économiques s'améliorent dans l'absolu. Le recteur de l'Académie de Bordeaux reconnaît d'ailleurs que si l'on maintenait les critères qui avait servi à la création des ZEP en 1982 , "la moitié de l'Académie serait en ZEP", proposition qu'il a l'air de trouver scandaleuse. Mais il ne s'agit que de l'application mécaniste de la formule ministérielle de "reforme à moyens constants" qui ne peut signifier que la réduction des dépenses nécessaires si l'on voulait simplement des résultats constants. La différence avec le REP est que les moyens supplémentaires sont maintenant contractualisés : autrement dit les autorités – qui n'osent plus prétendre que la situation économique va s'améliorer – se donnent ainsi la garantie de limiter à terme les dépenses en revoyant le contrat tous les 3 ans.   

Ceci va dans le sens de la mercantilisation de la gestion de la fonction éducative car la pratique du marché est la pratique du contrat. Mais dans leur enthousiasme mercantile mâtiné par une bonne habitude bureaucratique de pouvoir caporalisé, les autorités administratives ne font que singer les managers: le rectorat de Bordeaux ( académie pilote pour la manœuvre de transformation de ZEP en REP) se présentait dans Sud-Ouest l'an dernier comme un manager moderniste car cet amateur de chiffres et de bilans devait introduire un "tableau de bord" de gestion de l'Académie "comme il n'en existe nulle part ailleurs". Cette année, il propose aux enseignants des ZEP rurales de la Gironde qu'il veut transformer en REP de signer "un contrat de réussite sur 3 ans"…….. mais dont les critères ne sont pas précisés. Pas un seul épicier qui sait ce qu'est un contrat n'accepterait de signer.

Ceci prouve à coup sur, même si le rectorat trouve ensuite des critères justificatifs à posteriori, que le but de la manœuvre est, sous de vastes envolées pédagogiques, de limiter les coûts. Gageons que, si les services du rectorat sont capables – ce qui est leur rôle dans une académie pilote - de tirer les leçons d'une expérience pour les académies non pilotes, celles ci devront donner, pour avoir un air crédible , d'abord les objectifs et les critères de réussite qui doivent servir de lubrifiant idéologique aux économies de gestion au lieu de s'indigner du coût de mesures qui ne feraient que garantir une non dégradation de la situation, situation qui était considérée comme catastrophique par les mêmes il y a dix-sept ans. Au boulot, les scribes!    

De l'ère des gestionnaires à l'ère des troisièmes couteaux 

"Politiquement leurs idéaux sont très ciblés sur deux critères :

entre Mad Max et l'abbé Pierre/..

…./Ils sont là à tous les niveaux. C'est le règne des troisièmes couteaux".

*Bernard Lavilliers*

Nous connaissons donc bien les acrobates de la statistiques qui mesurent l'humanité en unités monétaires (et bientôt en Euros ce qui ne devrait pas donner plus d'épaisseur humaine à la chose). Mais , comme le dit Bernard Lavilliers, philosophe bien supérieur au comité de rédaction des programmes, à l'ère des managers et des gestionnaires succède logiquement , surtout lorsque leurs succès réels de gestionnaires sont des échecs sociaux, l'ère de la trique et des troisièmes couteaux. Après que le comité de rédaction de programmes ait réduit les heures d'enseignements de base et que les corps d'inspection aient vérifié leur application, après que Jospin ait réduit les possibilités de rattrapage des élèves en difficulté, après que ces mêmes élèves aient été parqués dans des délicats ensembles en béton, Bouygues autant que Luc Ferry ( du comité de rédaction des programmes) ont les honneurs en tant que bâtisseurs et philosophes, mais l'Etat envisage cahin-caha de faire ce qu'il sait faire : punir les victimes si elles n'ont pas une attitude strictement expiatoire. L'on voit, aussi bien dans les médias que dans les discours officiels, l'avenir des malappris des Zones qu'il faut Eduquer Prioritairement: l'ordre républicain avec îlotage et quelques coups de trique, sans compter les mesures d'éloignement des "délinquants" que l'on enverrait probablement en internat dans les campagnes. Lorsque l'on réduit les moyens d'instruction, il reste Prioritairement l'Education, vielle recette du KulturKampf admirée déjà par les théoriciens de la Troisième République: bel avenir cumulant les tares tout à fait compatibles du "public" et du "privé", celles d'une bureaucratie Bismarckienne et de la main invisible chère à Adam Smith.

20 Janvier 1999 
Jean CHRISTOPHE
(Michel Delord)

 

Notes et Compléments:

1 - L'ensemble des documents sur le cout et les "performances" du système éducatif français sont à :

http://www.education.gouv.fr/dpd/DPD_WEB/

2 - Un certain nombre de mouvements se développent à propos des ZEP, soit pour l'obtention du classement en ZEP, soit contre la transformation des ZEP en REP. Il y a des liens sur les journaux français ( Libération, le Parisien, Sud-Ouest) mais qui ne sont pas permanents et ont une durée de vie d'un jour ou d'une semaine. Le mieux est de suivre les liens sur la presse donnés au jour le jour dans la revue de presse sur le Web tenue par le SENS:

http://www.snes.edu/common/revpresweb.html

Il y a aussi des articles intéressants sur le site du Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs d'école et PEGC:

http://www.snuipp.fr/dossiers/profession_apprendre/zep/index.htm